Une structure de pouvoir
Le monde des affaires, les institutions commerciales et les « compagnies » (issues du premier monopole mondial : la Compagnie néerlandaise des Indes orientales) tirent avantage également de la réceptivité à la peur du consommateur et des actions impulsives qui peuvent en être la conséquence. Les multinationales d’aujourd’hui ont l’avantage que la Nation a perdu une énorme influence dans le maintien et l’extension de sa position de pouvoir. Elles (les multinationales) sont maintenant souvent plus puissantes que les nations individuelles.
Ce que ces multinationales ont appris de l’Église et de l’État, c’est l’établissement d’une structure de pouvoir, d’un modèle de dépendance au niveau du fonctionnement. Non seulement la hiérarchie décisionnelle de haut en bas, mais aussi le secret des informations provenant d’un niveau supérieur et concernant un niveau inférieur, dans une culture de stricte obéissance, de sorte que le rapport de force puisse être garanti, avec la sécurité et le contrôle comme mots-clés. C’est ainsi que les entreprises, comme les organisations religieuses, fonctionnent de façon optimale.
Un système qui agonise ?
Ainsi, les institutions exercent toujours un grand pouvoir et l’exercent de manière impitoyable, d’autant plus que la structure de la masse monétaire et les méthodes de financement le renforcent à nouveau. C’est-à-dire que le cadre dominant et croissant du capitalisme actionnarial dans un contexte néolibéral anéantit tout avenir humain, respectueux de la planète et favorable à la diversité, en tant que nouvelle réalité : les conditions actuelles en sont la rentabilité, la croissance et un versement de dividendes astronomiques pour les actionnaires qui, eux seuls, détiennent le pouvoir décisionnel. À cette fin, ils endettent de plus en plus les entreprises, les particuliers et les fonds d’État. L’économiste Maarten Schinkel considère cette méthode de travail comme « une tentative de presser les derniers restes de rendement d’un système économique qui touche à sa fin, en utilisant un effet de levier toujours plus important ». [1]
L’empereur
Mais nous parlons toujours du « pouvoir temporel », le pouvoir de César, de l’empereur, des dirigeants de ce monde, comme étant attribué à des hommes, parce que les hommes sont en principe libres d’organiser l’économie mondiale comme bon leur semble, bien entendu dans les limites des lois naturelles.
Le roi endormi en nous
Pourtant, nous nous ouvrons volontiers à cet autre pouvoir, le pouvoir de celui qui s’est vaincu lui-même et qui donc est plus fort que celui qui s’empare d’une ville, voire omnipotent : le pouvoir du roi que nous sommes tout au fond de nous, « le pouvoir du royaume de l’Esprit », comme l’a appelé Frederik van Eeden. [2]
Selon Marten Toonder, « ce roi sommeille sur son trône » [3], bien qu’il prétende ne convoiter que l’or de l’Esprit et ne souhaite pas posséder l’or matériel de ce monde. Mais dans l’histoire, le roi n’utilise la raison que lorsqu’il est réveillé par un élément féminin, une jeune femme qui parvient à le garder en état de veille. Dans le jeu d’échecs aussi, nous observons la même relation : comparé à la reine, le roi est un personnage passif et plutôt impuissant qui, en tant qu’élément le plus important du jeu, est obligé de se rendre à l’adversaire ou même d’être mis en « mat ».
Pourquoi ne voulons-nous pas laisser la raison élever notre royaume intérieur au rang de puissance ?
En tant que culture occidentale, nous avons bien essayé : des gens comme Ficino, Bruno, Spinoza, Comenius, Bœhme, van Eckartshausen, Kierkegaard et bien d’autres ont essayé de faire comprendre que la poursuite du pouvoir temporel mettait la vraie raison humaine en échec et mat, et en outre ils ont indiqué – chacun à sa manière – comment le monde de l’Esprit, lui, pouvait être abordé. Pourtant, bien que ces géants spirituels soient reconnus pour leur inspiration, l’homme moderne a continué de s’accrocher à la poursuite du pouvoir temporele. Ainsi, le sociologue allemand Hartmut Rosa dépeint la modernité comme suit : “La modernité repose sur l’idée que nous pouvons pleinement contrôler notre environnement, y compris la nature.” [4]
On pourrait dire : le roi s’est rendormi dans le mauvais état d’esprit. Entretemps, notre environnement échappe de plus en plus à notre contrôle, et la planète et la nature nous obligent à une nouvelle réflexion sur nous-mêmes. En outre, nous pouvons en venir à la découverte suivante, que la contrainte institutionnalisée, l’atmosphère de peur, le contrôle qui ne cesse de s’accroitre sur n’importe quel type de comportement, l’exigence impossible de la sécurité absolue, nous ont placés dans une position de non-liberté, de sorte que l’âme ne puisse aller nulle part et nous-mêmes nous nous trouvons comme dans une prison, esclave de l’accoutumance, du bien-être, des écrans et de la sécurité apparente. Impuissants, du moins impuissants à faire revivre le roi-en-nous.
L’âme comme énergie féminine pure
Pourtant tout cela n’est qu’apparence, car la vie nous réserve en fait plus que de nous conformer à un système devenu douteux, mais nous devons accepter une observation pénétrante de la profondeur de notre état d’esclaves. Si déjà nous pouvons nous retirer du pouvoir contraignant de nos sens, en éteignant ce pouvoir, il ne faudrait pas en conclure trop vite que nous sommes délivrés des puissances temporelles. Non, ce qui est important, c’est d’appeler l’âme (l’énergie féminine pure et belle) à la vie, afin que le roi puisse être réveillé. Mais cette âme doit, comme le décrit la Pistis Sophia [5], traverser toutes les sphères des éons (des conditionnements) et ainsi rencontrer le passé immatériel, immense et spectaculaire de l’humanité. Un passé qui, au niveau atmosphérique, est fortement présent aussi actuellement.
La Pistis Sophia
La structure de pouvoir des puissances mondiales actuelles (institutions religieuses, multinationales, entités politiques) est remplie d’archontes affamés [6]. Cette puissance des archontes est, en ce qui concerne leur nourriture, fortement dépendante de la production d’énergies humaines que nous, en tant qu’esclaves obéissants, pouvons leur fournir, et cela déjà depuis des temps immémoriaux. Il est important de reconnaître que, depuis l’origine, la possession, la propriété, l’argent et la réalisation de profits peuvent former les forces de séduction astrale stimulatrices de cette production d’énergie, et qu’il s’est formé une couche supérieure d’entités humaines qui, à partir du pouvoir temporel, peuvent maintenir un système « saturnal », c’est-à-dire hiérarchique, de haut en bas, élitiste et basé sur une colossale richesse financière aux mains de très peu d’individus. Le fonctionnement d’un tel système est décrit, entre autres, dans la BD Les Super-patrons de Marten Toonder. [7]
Si nous éteignons les forces contraignantes des sens et que, par cette victoire sur nous-même, nous devenons fort(e) en termes d’âme, une grande confiance en soi peut se développer à partir de la paix qui naît en nous. La lumière singulière qui y est reliée en tant que force de grâce nous met en état également de traverser la structure de pouvoir des archontes de ce monde. Nous accédons à l’état de conscience consistant à ne pas vouloir dominer et contraindre, mais à vouloir vraiment écouter et vivre à partir de cette nouvelle confiance en soi.
La force de lumière gnostique
Nous reconnaissons alors immédiatement l’odeur de la peur, le contrôle par la force, le manque de liberté, la contrainte d’un modèle exclusivement basé sur l’extension du pouvoir, l’asservissement aux autorités, aux directions, à l’empereur, et de ce point de vue, nous pouvons aider par notre qualité d’âme remplie de force de lumière gnostique. Non pas en luttant, mais par notre présence, notre attention et notre serviabilité. Ainsi, nous formons un couple royal d’Âme et d’Esprit. Une nouvelle puissance émerge. Le rôle de la raison est devenu celui de « la sagesse qui pense dans le silence ».
La donnée hermétique de cette sagesse qui n’est pas de ce monde est le centre, l’équilibre de l’âme à un niveau vibratoire élevé, le silence qui, en vérité, est la vie même.
Cette raison n’a plus besoin des « pouvoirs disciplinaires » du monde matériel (Hermès) ; cette raison est au-delà des troubles des émotions irrationnelles (Éthique de Spinoza). Le pouvoir de la raison n’a besoin d’aucune structure de pouvoir, d’aucun sujet, d’aucune foi aveugle, mais il est « de lui-même », comme le rapporte le Tao Te King :
Qui n’attache aucun prix à la puissance et ne chérit pas le luxe, quand bien même sa sagesse paraîtrait sottise, celui-là acquiert la sagesse suprême
[1] Maarten Schinkel, Katern Economie, NRC, 26/27 septembre 2020.
[2] Frederik van Eeden, De koninklijken van geest (Les royaumes de l’esprit).
[3] Marten Toonder, Koning Hollewijn (Le Roi Hollewijn) – Bande dessinée parue quotidiennement dans le journal néerlandais De Telegraaf en 1954.
[4] Hartmut Rosa, Rendre le monde indisponible, La Découverte, 2020.
[5] La Pistis Sophia (Foi et Sagesse, ou Foi de la Sagesse) est un traité gnostique écrit en grec vers 330. Le titre original est n-teukhos mp-sôtêr (les rouleaux [livres] du Sauveur).
[6] Terme gnostique des premiers siècles de notre ère : les archontes sont les méga-puissances qui dirigent les éons (puissances subalternes conditionnant et manipulant les êtres humains).
[7] Marten Toonder, De Bovenbazen (les Super-patrons), De Bezige Bij, 1963.