Déjà, quand j’étais tout jeune, j’accrochais aux murs de ma chambre des posters de chevaux s’élançant dans l’azur. Pourquoi les chevaux ? Quels que soient les cultures, les époques et les continents, le cheval est, dans l’inconscient collectif humain, l’animal le plus chargé de symboles et de signification. Il est l’animal qui a été le plus représenté dans l’art, à commencer par l’art préhistorique, voici déjà plus de 20 000 ans. Les chevaux des mythes, des légendes et des contes sont capables de parler et d’enseigner, de traverser les airs comme Pégase, de se rendre aux portes du Paradis, comme Albaruk – la jument qui porta le prophète Mohammed – d’accompagner le soleil dans sa course comme l’étalon turquoise des Indiens Navajo, ou d’allier savoirs instinctifs et intelligence humaine, comme le centaure Chiron, enseignant d’Esculape et patron des médecins. Compagnons des Dieux, les chevaux accompagnent le Soleil dans sa course quotidienne, de la Grèce aux mythes gnostiques d’Abraxas et jusque dans les cultures amérindiennes… et les chevaux accompagnent aussi les êtres humains dans leurs voyages. Capables de voyager entre les mondes, ils portent l’homme au-delà des cieux et des enfers et le ramènent sain et sauf. Ils traversent les profondeurs obscures de l’inconscient humain. Au plus profond des océans, les chevaux magiques de Neptune représentent ce qui n’est pas encore manifesté et n’a pas encore de forme.
Pourtant, en réalité, nous n’avons plus besoin de chevaux dans le monde d’aujourd’hui, car voitures, engins et trains fournissent tous les véhicules dont les êtres humains ont besoin. La force physique du cheval n’est plus nécessaire aux êtres humains. Pourtant, le nombre de propriétaires de chevaux est très important dans tous les pays industrialisés, avec un marché qui avoisine le milliard de dollars aux Etats-Unis. Pourquoi ? Parce que nous, êtres humains, avons besoin de créer une relation, et parfois de nous reconnecter avec la Nature et ces animaux qui nous entourent. Créer une relation avec un animal qui pèse entre 500 kg et une tonne, c’est soudain se sentir tout petit. Le cheval en nous est aussi l’enfant intérieur.
Pégase, le messager des Dieux, est sans doute l’archétype le plus célèbre de cet univers légendaire. Pégase est un cheval ailé divin, blanc comme la neige, l’une des créatures fantastiques les plus célèbres de la mythologie grecque. L’histoire de sa naissance renferme un trésor de riches symboles. Ce conte initiatique est un récit si riche de symboles et d’enseignements que l’on pourrait le méditer des jours entiers.
Pour séduire Méduse, belle habitante des océans à l’abondante chevelure, dont il était passionnément amoureux, Poséidon se transforma en cheval et la guida jusque dans un temple dédié à Athéna. Là, ils s’unirent et Méduse tomba enceinte. Pour avoir osé souiller le temple pur d’Athéna, Méduse fut métamorphosée par cette déesse en une horrible créature, la Gorgone. Et Athéna furieuse ne s’en tint pas là : pour assouvir son courroux, elle métamorphosa aussi ses deux sœurs. Méduse était connue pour sa beauté exceptionnelle et pour sa magnifique chevelure. En punition de son acte impur, Athéna transforma ses cheveux en une couronne de serpents venimeux et jeta une malédiction sur son regard, qui transformait en pierre tous ceux sur lesquels elle le posait. Les trois sœurs vivaient au pied du Mont Atlas, une région qui correspond au Maroc d’aujourd’hui. Méduse était la seule des trois sœurs à être mortelle. Les serpents sifflaient sur sa tête et son regard effrayant pétrifiait quiconque le croisait. Le héros Persée, fils de Zeus, conçut le projet de débarrasser le monde de Méduse. Athéna lui prêta son bouclier, et Hermès lui donna une serpe tranchante, et un sac en cuir pour y cacher la tête de Méduse. Persée s’approcha prudemment, en regardant non pas Méduse directement, mais son reflet dans le bouclier en bronze d’Athéna. Quand Persée trancha la tête de Méduse, les deux enfants de Poséidon furent libérés et jaillirent avec le sang qui gicla de son cou. Le cheval Pégase naquit ainsi du sang de la Méduse, avec son frère Chrysaor. Persée rapporta alors la tête de la Méduse à Athéna, qui la plaça au centre de son bouclier.
Comme de nombreux mythes grecs, cette histoire est profondément symbolique. Persée représente le héros en nous, le chercheur de vérité qui est prêt à affronter tous les dangers pour transformer le monde. Mais seul, même un héros ne peut rien. Car Méduse représente tout ce que le passé a construit à l’intérieur de nous, le gardien du seuil, toutes les représentations mentales à l’intérieur de nous, qui nous paralysent si nous y portons le regard. C’est pour cela que la déesse Athéna, la pureté vierge du nouveau penser, lui donne un bouclier, le bouclier d’un état intérieur particulier, un bouclier qui lui permettra d’affronter Méduse et de la vaincre.
Qui est Méduse en réalité ? Méduse est un être double. Elle est une femme d’une grande beauté devenue d’une laideur repoussante. Son nom de Méduse signifie « celle qui protège ». Méduse était, à l’origine, la force du regard qui enveloppe de son amour et protège ce qu’elle regarde. Lorsqu’elle devint un être monstrueux et maléfique, au regard qui pétrifie ceux qui le croise, elle fut Gorgone, un mot qui signifie « avec un regard perçant ». Sa beauté et sa chevelure magnifique, son visage aimable, son regard vif et séducteur, tout cela se transforma en une malédiction épouvantable. Voir l’horrible Méduse, c’est être pétrifié d’horreur et mourir. Persée représente l’intention de celui qui a décidé de parcourir le chemin de l’initiation. La première étape de son voyage héroïque sera d’être confronté à la réalité de l’état mental/émotionnel de l’humanité. Car la vie intérieure des humains est double : à la fois les idéaux élevés, la beauté, le clair regard et la volonté de s’améliorer, et à la fois la bassesse, les passions, l’épouvante et l’horreur. Le héros doit lutter contre l’esprit du monde, l’esprit qui essaie de paralyser son être et de le réabsorber dans l’atmosphère habituelle, et cet esprit est double.
On disait : « celui qui a vu Méduse face à face doit mourir ». Soutenir, dans sa vérité nue, la vue de notre état de chute, la vue de notre culture dualisée et de ses résultats datant d’éons, signifie mort absolue pour tout l’être de la nature ordinaire. Face à Méduse, avec le bouclier d’Athéna et la serpe d’Hermès, il suffit d’une fraction de seconde pour que le héros soit libéré. Le signe de cette victoire, la tête de Méduse, sera protégée dans le sac en cuir d’Hermès, et ce sac d’Hermès symbolise une nouvelle manière de penser. Puis, le signe de la victoire, la tête de Méduse, sera placée au centre du bouclier d’Athéna, où on peut encore la voir aujourd’hui, par exemple au musée du Louvre, signe que c’est toujours la pureté et la vérité qui triomphe.
Pégase monta au ciel après sa naissance et se mit au service de Zeus, qui le chargea d’apporter les éclairs et le tonnerre sur l’Olympe.
Ami des Muses, habitué à voyager entre le monde des humains et le monde des dieux, Pégase créa la source Hippocrène, la source de l’inspiration poétique, qu’il fit jaillir d’un coup de sabot. Pégase devint, dans le monde des mythes, le messager des dieux, messager qui apparaît encore aujourd’hui à ceux qui veulent s’élever jusqu’aux portes du Royaume divin.
Nombreux étaient ceux qui voulaient dompter le cheval ailé, afin d’accéder aux secrets divins. Le prince Bellérophon, plein de l’ardeur de la jeunesse, voulait par-dessus tout dompter le cheval Pégase. Il n’y parvenait pas, malgré toutes ses ruses et sa vivacité. Toujours, Pégase s’échappait dans l’air. L’histoire nous dit qu’une nuit, Athéna apparut en rêve à Bellérophon et lui donna une bride en or, la seule capable de maîtriser le fougueux cheval ailé.
Capturé par le prince Bellérophon, grâce à la bride en or de Athéna, Pégase permit à ce héros grec de le monter afin de vaincre un autre monstre qui dévastait le pays, la Chimère, et réalisa avec son cavalier beaucoup d’autres exploits. Mais le prince Bellérophon tomba victime de son orgueil. Il tenta avec sa monture de s’élever jusqu’en haut de l’Olympe et de devenir l’égal de Zeus, le maître des Dieux. Alors Zeus envoya un taon, qui piqua Pégase, lui fit faire une embardée, et fit chuter le cavalier. Bellérophon se brisa la colonne vertébrale, devint paralysé et ne put plus jamais monter à cheval.
Pégase reprit sa liberté et s’éleva dans l’azur, jusqu’à disparaître. Il retrouva Zeus, qui lui confia la mission de porter vers la terre les éclairs.
Ainsi, Pégase était devenu le messager des dieux, portant aux humains le message le plus précieux sur tout chemin spirituel : l’humilité – « le plus grand savoir est que je ne sais rien et que je ne suis rien ».
Zeus finit par transformer le cheval ailé en constellation et le placer dans le ciel, où il se trouve encore aujourd’hui.
Pégase vole librement parmi les étoiles. Lorsque tu t’élances sur son dos, tu apprends ce qu’est la véritable liberté ! La véritable liberté repose sur la responsabilité de faire des choix intérieurs. Pégase te rappelle que, toujours, tu es connecté à l’âme. La liberté, c’est écouter dans le sifflement du vent des ailes de Pégase un murmure presque imperceptible : la voix de ta propre âme.
Pour aller plus loin, bibliographie :
- De Petri, Catharose : La Rose-Croix d’Or, Chapitre XI, éditions du Septénaire.
- Bettelheim, Bruno : Psychanalyse des contes de fées, Pocket, 1999, pp. 90-91
- Franchet d’Espèrey, Patrice : La main du maître : réflexions sur l’héritage équestre, Odile Jacob, 2007.
- Carl Gustav Jung, Métamorphose de l’âme et ses symboles, Georg, 1993
- Jung, Emma et von Franz, Marie-Louise : La légende du Graal, Paris, Albin Michel, 1988, pp. 214-215